Michel Dutour, SRPJ de Montpellier, Alignan-du-vent.
Mercredi 28 décembre 2016, 11H00, Alignan-du-vent.
Annie était originaire d’Alignan-du-vent, ce petit village qui portait si bien son nom. C’est là qu’elle avait rencontré Mohammadi Bensoussan, cet homme magnifique qui deviendrait son futur mari. Elle était alors une simple
fliquette en poste à Béziers alors que lui était affecté à la PJ de Montpellier. Mais cela, l’un et l’autre l’ignorait. Leur rencontre fut fortuite. Les parents d’Annie tenaient un café à Alignan, juste au pied de l’église. Elle y habitait encore de temps à autre, malgré cette maison qu’elle retapait et qui avait appartenu à sa grand-mère, la mère de son père. C’était l’été et elle était en congé. Les touristes étaient nombreux, alors elle filait un coup de mains à ses parents. Elle servit donc un café à cet homme qu’elle ne connaissait pas et qui était venu là pour interroger des témoins dans une
enquête criminelle.
C’était la fin de l’après-midi et Annie avait fini son service. Mohammadi la dragua ouvertement et lui demanda maladroitement si elle accepterait qu’il lui offre une glace. Cela l’émut, elle accepta. Ils discutèrent jusqu’au soir et quand ils s’aperçurent qu’ils avaient faim, la jeune femme proposa de l’emmener dans un petit restau du coin. Ils y mangèrent frugalement, car leur esprit était ailleurs. Annie était séduite par le contraste entre la beauté sculpturale de cet homme et sa timidité maladive. Elle espéra qu’il se décide à faire le premier pas et, comme cela n’arrivait pas, c’est elle qui prit les devants. Ils n’eurent pas besoin de se parler. Leurs mains se touchèrent et leurs lèvres se joignirent. Une heure plus tard, ils firent l’amour dans la chambre d’Annie. Depuis, ils ne s’étaient plus quittés.
Ben l’avait souvent raconté à Michel Dutour. Cette église était pour lui comme un signe. C’est à l’ombre de cet édifice qu’Annie et lui s’étaient rencontrés. Deux années plus tard, elle avait accueilli leur mariage sous les yeux embués de la famille et des amis, dont Michel qui fut le témoin du marié.
Le capitaine Dutour se souvenait très bien de ce moment-là, de cette joie qui transpirait de partout, des larmes dans les yeux des invités, du regard habité d’Annie quand Ben lui passa la bague au doigt en tremblant, de leur voix
cassée par l’émotion quand il s’était agi de dire oui. Ce jour-là, l’église était pleine à craquer.
Elle l’était plus encore aujourd’hui. Contrairement à la fois précédente, Michel s’était mis en retrait. Il entendait la musique, mais ne s’en rendait pas compte. Des prières étaient psalmodiées, mais il ne les percevait pas. Des
dizaines de têtes étaient baissées, mais il imaginait que c’est vers lui qu’elles se tournaient.
Au loin, juste devant le chœur, des bougies étaient allumées. Elles éclairaient faiblement deux cercueils recouverts d’un tissu rouge vif. Quand Michel imagina les corps sans vie de ses deux amis immobiles à l’intérieur, il se mit à pleurer.