Samedi 12 septembre 2014, 16H, place d’armes de Valenciennes, café de la Paix.
Hugo était un solitaire. Il s’en était rendu compte assez tardivement, mais depuis qu’il en avait pris conscience, il l’assumait totalement. « Loin des yeux, loin du cœur » était un peu sa formule fétiche. À proprement parler, le jeune homme n’était ni ochlophobe, ni réellement misanthrope. Au contraire, il appréciait la compagnie des autres à une seule condition : qu’elle ne nuise pas à sa propre liberté. À l’instar du grand Georges Brassens, il estimait qu’une équipe ne devait pas dépasser le nombre critique de quatre membres, faute de quoi il était impossible qu’il en sorte autre chose que des inepties.
De temps à autre, histoire de ne pas paraître trop asocial, Hugo faisait exception à cette règle. Déjà qu’il passait le plus clair de son temps devant son ordinateur à mettre au point d’obscurs logiciels, il valait mieux qu’il donne le change de temps à autre… C’était le cas ce jour-là. Quelques amis l’avaient débauché en ce samedi après-midi et il buvait une bière avec eux. Une Chimay bleue.
Les amis en question, il les avait rencontrés trois ans plus tôt quand il s’était inscrit en licence de mathématiques à Valenciennes. Ils avaient depuis validé leur diplôme et la plupart s’apprêtaient à poursuivre leurs études en Master. Hugo, quant à lui, avait décidé de bifurquer au bout de deux ans vers la licence professionnelle Cyber-défense, anti-intrusion des systèmes qu’il avait obtenue en finissant premier de promotion. À peine avait-il terminé son cycle d’études qu’une banque lui avait proposé de l’embaucher, ce qu’il avait accepté. C’est cela qu’il était venu fêter avec ses potes ce jour-là, après qu’ils aient d’ailleurs beaucoup insisté.
Hugo n’avait pas l’intention de rester longtemps. Il venait de mettre à profit ses connaissances dans la sécurité des réseaux pour concevoir ce qu’il appelait son réseau captif. L’idée était assez simple : il comptait relier entre eux plusieurs ordinateurs et en prendre le contrôle, activité évidemment interdite, mais qu’il justifiait par le fait que son seul objectif serait, non pas d’espionner autrui, mais de détecter les actes de cyber-criminalité. Son programme était prêt et il ne lui restait plus qu’à l’implanter dans ordinateur distant. Ce qui était à la fois dangereux, illégal, et carrément immoral.
En savourant sa bière, Hugo ne pensait qu’à cette première attaque qu’il devrait mener sous peu. Autour de lui, ses potes avaient l’air de s’amuser alors que lui ne pensait qu’à retourner chez lui. C’est alors que son ami Pierre entra dans le café, accompagné d’une fille magnifique qu’il présenta à la compagnie comme étant sa copine. Ce fut sa première rencontre avec Clara Jeminski.
Hugo oublia immédiatement son réseau captif. Il n’avait d’yeux que pour cette jeune femme qui l’envoûtait par sa manière d’être là tout en étant ailleurs. À cette époque, Hugo avait l’air d’un bad boy, et cela lui fut du plus grand secours. Car la fille avait l’air d’apprécier ce genre d’individu ; elle ne cessait de le fixer, ce qui l’intimidait beaucoup.
Quand l’informaticien sortit pour allumer une clope, personne ne le remarqua, sauf Clara qui le suivit et fuma avec lui. Elle fit l’essentiel de la conversation et se mit à lui parler d’elle. Elle vivait seule avec son père médecin, avait démarré des études de psychologie tout à fait ennuyeuses, et avait récemment échoué à un concours dans la police scientifique. Du coup, elle n’avait plus aucune idée de ce qu’elle pourrait bien faire de sa vie. Peut-être allait-elle vivre aux crochets d’un riche homme d’affaires ou d’un étudiant au futur prometteur. Elle éclata de rire et confessa à Hugo que Pierre n’était en aucune manière son petit ami, mais juste un mec qu’elle avait rencontré et avec qui elle avait couché deux ou trois fois. Cette sincérité troubla Hugo et l’émut.
Le jeune homme se surprit à l’inviter chez lui pour boire un verre et elle accepta immédiatement. Ils s’éclipsèrent en riant du fait qu’ils n’avaient pas réglé leur consommation. Ce fut le début de leur amitié.
Une heure plus tard, Clara découvrait le repère de l’informaticien, un appartement exigu où tout était dévolu à son violon d’Ingres, l’informatique. Ce fut à son tour de parler, de lui faire partager sa passion.
À la nuit tombée, Clara était conquise, mais surtout, elle savait ce qu’elle ferait l’an prochain. Elle reprendrait son cursus universitaire à zéro pour s’inscrire dans une licence générale. Elle n’avait pas l’intention de suivre le même chemin qu’Hugo côté études, mais elle allait assumer sa passion pour les mathématiques et plus exactement pour les statistiques. Il serait toujours temps de décider plus tard où cela la mènerait.
Quand minuit sonna, Clara se souvint qu’elle avait planté Pierre. Elle se saisit de son téléphone et constata que ce dernier lui avait laissé plus de vingt messages. Elle sourit et rangea l’appareil dans sa poche, puis elle demanda à Hugo s’il pouvait la raccompagner chez elle. Elle avait d’ailleurs un service à lui demander. Depuis quelque temps, son ordinateur portable ramait et elle lui serait très reconnaissante s’il pouvait y faire un peu de ménage, lui redonner une seconde jeunesse. Le jeune homme ne se fit pas prier. Il repartit de chez Clara avec l’ordinateur et le lui rendit quelques jours plus tard en parfait état.
Évidemment, il y avait implanté son petit logiciel de traçage informatique.